La belle baie d’Arguni sait se faire désirer…

Dimanche 31 octobre

Par Olga Otero olga.jpg, oct. 2010 C’est dimanche et la mise au travail n’est pas forcément évidente. La compréhension des règles et des limites d’autorité des différents villages est complexe et c’est une fois que les champs de compétence sont bien compris et que les procédures sont respectées que nous pourront travailler.

Dans les autres baies, un village principal étendait son autorité sur de larges secteurs, un ou deux guides la représentant nous accompagnaient dans la zone. Dans les villages secondaires nous n’avions qu’à saluer. S’en suivait l’information sur nos objectifs et nos travaux, par respect pour les habitants de ces territoires, mais aussi pour récolter d’éventuelles informations.

Dans la baie d’Arguni, c’est un peu plus compliqué. Elle se découpe sous deux districts (haute et basse baie) et chaque village étend son autorité sur un bout de territoire dont les contours ne peuvent être devinés tant ils varient en forme et limitent des surfaces ultra variables. Suivant les villages toutes les configurations sont possibles. Soit on nous donne l’autorisation de travailler directement (pas de bol, seul deux affleurements était sur le territoire de ce village très ouvert à notre venue). Soit on nous réclame les papiers des autorités préfectorales (en attendant, on a le droit de regarder, mais pas de gratter le caillou : plutôt frustrant). Soit s’ajoute une cérémonie rituelle : l’ordre des choses ne doit pas être dérangé par notre venue (c’est ce que j’ai compris comme raison de la cérémonie organisée à Sewiki demain, mais le récit de Bruno qui vient de passer 2 jours dans cette vallée sera probablement plus éclairant !).

En tout cas, l’accueil est toujours sympathique. Pour exemple, alors que nous grattions un bel affleurement Budi, Ungul et moi et qu’un peu plus loin Sopian et Conni faisaient des ronds dans l’eau… à la recherche de divers arthropodes de ces estrans entre la mangrove et le rocailleux, une pirogue est arrivée avec deux hommes du village de Seraran (en face sur l’autre berge). Nous avions compris que l’autorité des villages se limitait à la berge et les îles proches : raté ; dès fois c’est aussi la rive opposée ! Gentiment, il nous demande de revenir avec les documents si nous voulons prélever. Demain, nous commencerons par leur village (qui plus est, il présente à ses alentours de très belles coupes), avec les documents, comme prévu. En partant, il nous offre un superbe poisson qui finira en papillote et régalera la moitié de l’équipe qui dort au bateau. Demain enfin, bardés de nos autorisations en tout genre, nous irons à l’assaut des affleurements de cette si belle baie. En attendant, ceux qui bossent dans la partie sud de la baie n’ont pas ces tracasseries : il y a beaucoup moins de villages ! Cela a permis à Bruno et Hubert d’explorer des résurgences étonnantes que nos biologistes avaient remarquées hier dans leurs pérégrinations (voir les propos d’Hubert et surtout ses photos). Au fait, pourquoi ne pas faire de géologie dans ces zones moins peuplées : et bien les séries qui nous intéressent favorisent l’installation des villages (terrain moins accidentés) et sont plutôt dans la partie nord de la baie (même si un secteur tout au sud méritera notre attention), tandis qu’une bonne partie du sud de la baie voit le développement des reliefs calcaires découpés par le karst, bien moins hospitaliers.

Pour finir, un autre petit imprévu. Ce matin, la pirogue des bio devait arriver à 8h, mais à 9 toujours rien. Il leur faudra attendre la fin de la messe pour pouvoir décoller.

On vient de couper le groupe et il est temps d’aller se coucher ! Demain, c’est novembre et ça va dépoter… enfin on verra !

Par Olga Otero, sur le pont arrière de l’Airaha, où un petit vent frais souffle.

Dans les arcanes du Lac Sewiki.

Récit de Bruno Fromento, sur les travaux de l’équipe spéléo (Hubert, Guilhem, Bruno) bruno.jpg, oct. 2010

Il est tôt ce matin lorsque nous quittons notre navire camp de base. Assis au fond du « long boat »qui nous conduit vers la région de Sewiki, nous contemplons les rives arborées qui défilent inlassablement. Cette forêt envoutante continue d’exercer une attirance particulière pour tout ce qu’elle peut cacher ou bien révéler aux spéléologues que nous sommes. Nous traversons quelques remous bien marqués signifiant une inversion de la marée. Encore un phénomène surprenant que nous vivons directement. Au détour d’un méandre nous rejoignons le village de Sewiki. Quelques maisons en « béton coquillé » disséminées par ci par là abritent la population. Nous rencontrons le chef du village afin d’obtenir les autorisations d’accès aux montagnes. A l’issue de cette réunion, nous avons le droit d’aller observer quelques phénomènes naturels comme des grottes ou bien des sources. Toutefois, sur le trajet, le guide s’arrête sur la rive, coupe quelques herbes et implore les esprits de leur clémence. Nous pouvons maintenant continuer notre visite, et notre guide nous conduit vers deux grottes par lesquelles circulent des rivières souterraines mais pour ne pas vexer les esprits nous resterons à l’entrée. Nous sommes enthousiastes, d’autant plus que sur les hauteurs du massif nous voyons une grande doline caractérisée par une falaise. Plus loin, nous déambulons dans les méandres occupés par des algues et des nénuphars . PHOTO_1.jpg, oct. 2010 L’ambiance est extraordinaire, une végétation exubérante borde une eau claire et bleu sortie d’un exutoire karstique. Nous observons dans cet environnement particulier et restreint, des poissons d’eau douce qui mettent de nouveau en exergue la richesse de la biodiversité de Papouasie. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! La complexité de cette région nous laisse à penser que nos travaux de recherche vont se prolonger sur quelques années.

Nous retrouvons le village, animé par les enfants qui jouent au bord de la rivière et par la complainte des chiens. Nous passons notre première nuit dans une maison aimablement prêtée par la communauté. Une natte posée au sol constituera notre lit. Le repas sera une combinaison de riz et de sardine à la tomate.

Ce matin de dimanche, nous attendons une nouvelle réunion qui doit réunir de nombreuses personnalités du village et l’ensemble de l’équipe de l’expédition lengguru. Chacun des responsables des deux parties présentes explique leurs attentes ou leurs projets. Finalement, après ces palabres incontournables. PHOTO_3.jpg, oct. 2010 Nous concluons par une poignée de main et l’organisation d’une cérémonie pour lundi prochain qui devrait conclure cette collaboration. Cet aspect de l’expédition est très important afin de comprendre le fonctionnement des villages, des districts, des provinces mais aussi pour bien expliquer aux gens que nous rencontrons la finalité de nos recherches.

Finalement, nous allons pouvoir partir en exploration dès lundi, avec en priorité l’établissement d’un camp de base en forêt afin d’accueillir les scientifiques intéressés par ce secteur.

Le karst sulfurique de la baie d’Arguni

La baie d’Arguni correspond à la limite nord ouest du massif de la Lengguru. Il s’agit d’une petite mer intérieure composée de deux bassins reliés par une passe très étroite et de profondeur très variable : entre 7 m et 80 m. Les reliefs karstiques dominent la baie de plus de mille mètres et leurs versants abrupts plongent directement dans la mer. Ce littoral rectiligne est contrôlé par le passage d’un des chevauchements majeurs de la chaine de Lengguru qui sont réputés pour la présence de remontées de gaz et d’huile (pétrole).

Dans ce secteur, ces remontées hypogènes sont accompagnées de fluides sulfuriques dont on identifie rapidement la présence par l’odeur d’œuf pourri de l’hydrogène sulfuré. Le phénomène s’explique par la limite de confinement entre les calcaires du massif de la Lengguru et les sédiments plio-quaternaires du bassin de Bentuni qui se développe au large et sous lequel se trouve le réservoir pétrolifère. Les fluides minéralisés remontent sous les terrains imperméables du bassin de Bentuni et se propagent dans les discontinuités du massif calcaire pour rejoindre la surface au niveau de la mer. Là, des grottes sulfuriques se développent en corrodant le calcaire jusqu’à lui donner l’aspect d’une dentelle. Nous avons exploré aujourd’hui une de ces grottes, véritable labyrinthe où on ne sait plus s’il y a plus de vide que de roche. PHOTO_4.jpg, oct. 2010 Les parois sont recouvertes de gypse au dessus du niveau de l’eau matérialisé par une encoche marine à l’entrée de la cavité. En nous enfonçant sous terre en nage dans une eau chaude et laiteuse, nous nous émerveillons de ces parois étincelantes dans le faisceau de nos lampes : fleurs de gypses, aiguilles et quelques filaments bactériens pendant au plafond : les « nose tears ». PHOTO_4.jpg, oct. 2010 Pour une fois, on fait l’impasse sur la topo : nager avec un télémètre non étanche et prendre des notes c’est déjà pas terrible, mais en sachant qu’il y a un crocodile marin qui a élu domicile dans la grotte voisine ça limite d’entrée les motivations des uns et des autres, d’autant que la nuit tombe. Il est l’heure de rejoindre le bateau avant que le croco sorte de son antre.

Hubert Camus

2 réflexions au sujet de « La belle baie d’Arguni sait se faire désirer… »

  1. Selamat pagi semua !
    Je suis heureuse de voir que l’enthousiasme et l’émerveillement sont toujours au rendez vous !
    notre quotidien est moins palpitant que le vôtre, cependant, pour nous consoler, nous avons les couleurs de l’automne, novembre, le changement d’heure, (passionnant….)et nous ne craignons pas de rencontrer un croco dans la garrigue ! plutôt un sanglier, ils sont de plus en plus effrontés !
    Continuez sur votre belle lancée et portez vous bien !
    Bizz spéciale à Marco , selamat jalan aux équipes,
    Nathalie

  2. Le dernier récit de Jean-Michel est aussi émouvant que poétique, il m’a tiré des larmes…de crocodile ! La science et la poésie réunies…C’est beau.
    Quoi de plus naturel que d’avoir le blues à la fin d’une aventure aussi magique, mais compte tenu de la somme des découvertes de toutes les équipes de chercheurs, ce ne peut être une fin, juste une pause !
    Olga, mon docteur préféré est-il toujours du voyage ? Vous n’avez pas cité Jean parmi la liste de ceux qui repartaient…Un grand bonjour à lui et à vous tous qui nous régalez jour après jour.

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