Enfin le terrain… découverte de la baie d’Arguni

Vendredi 29 octobre

Enfin le terrain… découverte de la baie d’Arguni

Par Olga Otero olga.jpg, oct. 2010 Enfin à nouveau sur le terrain! Nous avions prévu de partir vers 3h du matin de Kaimana, le temps d’obtenir l’autorisation de sortie du port. Les heures passaient et la pluie tombait. Après tergiversations et réflexions, un rapide conseil de guerre permet de trancher. La grotte que nous avions prévu de rallier à l’Est de la baie de Kayumerah risque d’être inondée par les pluies, ce qui, combiné aux coefficients de marée très forts, risque de rendre dangereuse son exploration. Dans une dizaine de jours, au moins la variable « coeff » sera moins gênante.

Nous avons donc filé vers l’ouest, vers la baie d’Arguni. Nous remontons d’abord la baie de Kamrau. Puis par un étroit passage nous rentrons dans la partie basse de la baie d’Arguni. Elle s’étrangle rapidement en un goulot de près d’une quinzaine de km qui mène à la partie haute de la baie.

En navigant un œil sur l’avant du bateau et l’autre sur le radar, le capitaine nous emmène le plus haut possible. Mais bien que la profondeur soit suffisante, les tourbillons et les courants ainsi que l’étroitesse du chenal rendent la remontée imprudente. Pas de prise de risque inutile. Il aurait été intéressant de pouvoir s’approcher de la vallée de la Sewiki (l’objectif de nos grottologues), mais la partie basse de la baie n’est pas sans intérêt… De toute manière, le capitaine est le maitre à bord : le reste se fera en zodiac avec installation de camp, voire d’un dépôt d’essence si le zodiac s’avère un moyen de déplacement efficace pour les trajets dans la vallée de la Sewiki.

Un peu après midi, nous sommes donc ancrés dans le haut de la partie basse de la baie Photo1.jpg, oct. 2010 Comme à chaque arrivée sur une nouvelle zone, les formalités avec les autorités locales doivent être faites. Un zodiac part pour rencontrer le chef du village de la zone dans laquelle nous sommes ancrés ; au autre pour celui de l’entrée de la baie de Sewiki où une partie de l’équipe partira bientôt s’installer. Vers 15h, le premier revient, nous pouvons nous égayer dans le coin sans aucun problème. Le second n’est toujours pas rentré alors que j’écris. Il devrait arriver vers 20h30-21h.

Rapidement deux groupes se forment. Dans le premier à partir, Ungul, Erlin et moi-même. Nous allons remonter la piste sur la rive ouest de la baie. Premières discussions sur le terrain avec le collègue paléontologue qui vient d’arriver. Ces deux heures avant la tombée de la nuit sont très importantes. On n’a pas beaucoup de temps, mais tout de même assez pour esquisser un scenario sur la mise en place de dépôts appartenant probablement à la Formation Steenkool et déposés en biseau sur les séries carbonatées de la Lengguru creusées par le karst. Ensuite, balade dans la série de la Formation Lengguru. Pour Ungul, c’est le premier contact avec ces formations, et s’il y en a un qui est servi côté fossiles, c’est bien lui. Il nomme avec jubilation les groupes de mollusques reconnus (Ungul est paléo-malacologue : c’est son rayon), et surtout l’environnement associé à chaque taxon : les précieuses informations qui nous permettent d’esquisser mentalement les environnements de dépôt et leur évolution au cours du temps, au fur et à mesure que nous remontons la série. Des paysages sous-marins se font et se défont dans nos esprits. Erlin prend des mesures sur les falaises et cherche d’éventuels abris sous roches. On a aussi eu le temps de faire nos observations de paléontologues et archéologue sur les karsts éventrés le long de la piste. Photo2.jpg, oct. 2010 Un vrai régal de fin d’après-midi. Et enfin de retour sur le terrain dans une zone qui présente des formations variées : une zone qui va être passionnante à explorer, surtout pour nous les paléo…. Vivement demain !!!

Il est 17h30, Bernard est un peu en avance (comme d’habitude) au rendez vous pour nous ramener au bateau. Presque par hasard, je lui pose la question : alors ils ont trouvé une grotte ? L’air un peu surpris, il me répond : tu as eu un contact radio ? Non, juste du flair (facile à dire après coup) ! Bon, on fait un crochet et je vous montre…

Pendant que nous remontions le temps, un second groupe, les grottologues maintenant augmenté de Budi et de Lukas (qui de guide va bientôt devenir un vrai pro de la grotte), avait repéré un probable porche à la jumelle lorsque nous remontions la baie. Bingo ! Une belle cavité à fleur d’eau de mer s’ouvre aux flots sur près de 50m qui sont remontés en zodiac. A l’intérieur après quelques mètres sur la rive souterraine, ils découvrent les traces d’un croco (tapi dans l’ombre, forcément). Photo3.jpg, oct. 2010 Un beau bestiau qui doit bien faire dans les 3 mètres, au bas mot. Quand nous sommes passés voir l’entrée, la marée était trop haute pour passer le porche avec le zodiac : il est certain que les horaires et amplitudes de marées sont à surveiller, du moins si ont veut éviter de passer la nuit avec un croco (forcément affamé) ! Photo4.jpg, oct. 2010 Mais, pour tout ce qui est de la navigation sur zodiac,des volumes de précipitation au débit des cours d’eau en passant par les amplitudes de marée, Bernard est aux manettes et il veille au grain. Il en profite pour étudier la faune que nous sommes. Voyons voir ce qu’il veut bien vous raconter là-dessus !

Olga Otero, du pont arrière du Airaha, ancré dans la partie basse de la baie d’Arguni.

Chronique langgureuse d’un pilotin anonyme

Par Bernard Pouyaud bernard.jpg, oct. 2010 Bon ! D’accord, je le savais déjà lorsque j’ai été engagé pour piloter tous ces scientifiques dans les mangroves et sur les rivières de la Tête d’Oiseau méridionale… Ça n’allait pas être facile ! Eux s’intéressaient à tout un tas de choses absconses qui ne feraient même pas caqueter un oiseau de paradis en parade amoureuse, et moi, c’était surtout le beau Zodiac noir qui avait éveillé mon désir. Forcément, nous ne saurions être en totale harmonie : ils ne comprendraient rien aux effets contrariants du vent sur les courants de marées, aux dangers des lianes accrocheuses qui envoient leurs longues tiges crénelées à l’assaut des flancs luisants de mon bel esquif, quand elles ne flagellent pas cruellement leurs épaules craintives ; et moi je ne saisirai rien de leurs intérêts contradictoires. Un exemple entre mille : ces dessins ocres ou rouges laissés par des peuples maritimes disparus sur certaines parois. Ces marins, ont-ils choisi leurs parois-supports tournées vers le levant en réponse à des impératifs culturels, voire religieux, ou bien parce que seules celles orientées ainsi étaient favorables à la conservation à travers les siècles de leurs précieux témoignages, ou encore parce que la nature même, des surrections et accrétions des prismes calcaires qui les portent, fait que les seules parois verticales à être quasi surplombantes sont orientées ainsi, perpendiculairement aux plans de faille principaux…

Mais je laisse s’égarer mon esprit simpliste de pilotin sur des espaces qui lui sont inconnus et pourraient bien me rendre, rapidement et sans retour, encore plus bête que nature…

D’autres se passionnent pour les oiseaux et en font les exemples de modèles sociaux fort modernes : ils cherchent à comprendre pourquoi des espèces voisines qui auraient tout pour vivre harmonieusement ensemble sur un même territoire, s’y croiser et s’y allègrement multiplier, ne le font pas ? Ils auraient dû, comme moi dans une autre vie, fréquenter les banlieues et les favelas sud-américaines…

D’autres encore recherchent le contact furtif entre les grés crétacés et les calcaires des séries qu’ils supportent, prêts pour cela à affronter la longue houle et les vagues qui frappent frontalement les falaises et caps de cet adossement, vieux (à ce qu’ils me disent…) de plusieurs dizaines de millions d’années. Etaient-ils donc là pour les voir sortir des eaux tels de monstrueux Léviathans ? Il y en a même un qui me plaît particulièrement tant ses manières sont baroques : alors que les forêts et les plages de ce petit bout du monde sont parsemées de coquilles d’escargot de belles tailles, de toutes formes et couleurs, il faut qu’il s’intéresse, lui, à des coquilles minuscules, noires comme des pustules, qu’il ne voit même pas à l’œil nu, au prétexte qu’elles seraient nouvelles et encore « inconnues » ! Forcément, qui irait s’intéresser à des bestioles si petites qu’elles ne puissent être mangées ?

Et alors, sur les rivières, c’est le bouquet : ils voulaient tous piloter mon beau Zodiac, et j’ai dû mettre ma démission en balance, mais lorsqu’ils sont embarqués dessus, ils se comportent comme des enfants et n’arrêtent pas de me contrarier, au point que je bougonne encore davantage que d’habitude, cigarillo éteint coincé entre mes lèvres pincées d’une muette réprobation. Quand je leur demande d’écarter d’un habile coup de rame la rive bourbeuse ou la liane accrocheuse, ils s’y amarrent au contraire et contrarient l’avance du bateau… Quand on va aborder la rive, ou le flanc du bateau-base, pas un pour amortir le choc de l’accostage, ou amarrer à courte bride notre esquif ! Quand, enfin, le Zodiac talonne sur les hauts fonds sableux ou plus grave sur des patates coralliennes, pas un non plus pour sauter à l’eau et parer à la manœuvre. Il en est même qui ne savent pas nager…, mais qui jugent les gilets de sauvetage disgracieux… Que de soucis, vous dis-je !

A certains, toutefois, vont mes préférences : ceux qui restent sagement assis à leur place assignée et contemplent comme moi la magnificence des arbres des rives, les rayons de vive lumière entre le vert sombre des frondaisons aux nuances indéfinissables, l’éclat furtif d’un papillon aux ailes complexes, les nids de guêpes qui pendent aux branches en attendant de châtier l’imprudent qui les heurterait ou encore l’éclat furtif du martin-pêcheur géant qui slalome entre les basses branches… Lorsque nous partageons, eux et moi, ces moments de pure harmonie et nous en émerveillons ensemble, le courant passe alors et le même sourire fleurit sur les lèvres de tous…

4 réflexions au sujet de « Enfin le terrain… découverte de la baie d’Arguni »

  1. Je me suis régalé à la lecture de l’humour et de l’humeur de Bernard.

    Si le ton du billet reflète l’ambiance générale, les embarras quotidiens de la situation inconfortable sont moins difficiles à supporter.

    Bravo à tous et laissez son canoë au Tonton Macoute !

  2. Merci à Olga et à Bernard d’écrire si bien les chapitres de ce feuilleton que nous suivons avec tant de plaisir ! chaque « écrivain » de cette expédition a son style et nous nous régalons !
    ici, dans l’hérault, samedi 30 , tombent des pluies « tropicales » ! on surveille nous aussi le niveau de notre petit ruisseau au bout du jardin…
    vivement demain pour voir d’autres photos de grotte ?
    Bizz à CVRouz et amitiés au reste de l’équipe !

  3. Les scientifiques savent aussi merveilleusement conter…un grand merci! Quel plaisir de vous lire…Chaque jour on ouvre notre ordinateur avec gourmandise mais aussi, il faut l’avouer, avec une petite angoisse : les serpents, les crocodiles, les plantes griffues, les layons glissants, les roches coupantes, les eaux tumultueuses, les grottes »piégeuses »….
    Nous vous accompagnons par la pensée…
    Gene

  4. Pour Bernard P.
    Aaaah, quelle belle narration qui fleure bon des camps cavalliens communs. Merci. Mais je vois bien que tu avais besoin d’un adjoint de Zodiac…. c’est évident vu les « zèbres » que tu transportes de ci de là !! Quoi, personne pour soulager la quille de ton magnifique esquif noir d’une perfide patate de corail immergée ou sauter à l’eau avant l’impact ? C’est indécent ! Sinon, bien sur que ca ne se prête pas un Zodiac… Tiens bon !
    ==> Grand merci à tous les conteurs de la Station Spatiale qui se relayent, malgré la légitime fatigue vespérale, pour nous régaler nous les « terriens ». Portez-vous toutes & tous très bien. Bonne moisson, bonne mission.
    daniel

Les commentaires sont fermés.