Rotation J-1,

Mercredi 27 octobre

par Olga Otero olga.jpg, oct. 2010 Il est 17h30 et le bateau vient de lever l’ancre du port d’Avona. Nous filons maintenant vers Kaimana où nous arriverons dans la nuit. Demain matin, un même avion va nous livrer de nouveaux collègues et en emporter certains. La journée s’est organisée autour de notre appareillage, mais nous avons fait du terrain jusqu’au dernier moment.

Un groupe est parti explorer un peu plus loin la rivière souterraine découverte hier. En deux heures de travail il est maintenant évident que cette rivière présente un intérêt scientifique certain. Elle constituera le premier terrain que nous ferons avec la nouvelle équipe. Commencer par un terrain aussi porteur, les collègues ont de la chance. Notamment les biologistes qui vont pouvoir découvrir et échantillonner une faune souterraine assez riche… Jean-Michel va vous raconter ça. Ce sera sa dernière intervention dans ce journal de l’expédition – notre séquence émotion de ce soir (« Le bout de la piste »). Pendant ce temps, un autre groupe est parti un peu plus loin à l’Est pour remonter la plus orientale des rivières du secteur (les ichthyo) et pour aller tâter du Crétacé (les paléonto). Barrée par des troncs d’arbres, la remonté de la rivière a rapidement été stoppée et au bout d’une heure environ, les ichthyo ont rejoint les paléonto le long de la plage. Dans cette baie, les séries sédimentaires présentent un pendage vers l’ouest : les couches ne sont pas horizontales, mais inclinées, du fait des plissements et basculements de blocs qui ont affecté le prisme. Cela constitue une fabuleuse machine à remonter le temps. Pas besoin de crapahuter pour remonter la pile des sédiments déposés pendant des dizaines de millions d’années, ils sont présentés le long de la plage. Seule la présence de crocodiles pourrait compliquer notre tâche, mais nous n’en voyons même pas le bout de la queue. Les premiers sédiments du Crétacé rencontrés sont des grès. Ils présentent de superbes litages obliques et des stratifications entrecroisées. 1_cretace.jpg, oct. 2010 photo : Sinung devant les grès crétacés

On peut y voir des bioturbations (traces laissées par les activités des organismes qui ont habité le sédiment alors qu’il venait de se déposer il y a plus de 65mA), mais pas de fossiles. L’heure tourne vite et nous ne pouvons pas continuer de remonter le temps archivé en bord de mer. Une journée de cabotage avec le collègue paléontologue du Musée de Bandung (spécialiste de mollusques ; il va arriver à la rotation) permettra de compléter les premières observations effectuées avec Sinung, de finir la série crétacée et d’échantillonner une bonne partie de la série des carbonates tertiaires. Cette zone constituera vraiment un terrain de transition idéal !

Le temps passe vite sur le terrain, et il faut être rentré au bateau à 14h pour que les deux zodiacs puissent aller chercher le groupe des campeurs parti explorer des grottes et leurs abords à quelques km du bateau (vous savez, ceux que l’on n’a pas vus hier !). Bruno va vous raconter ce que les grottologues ont retiré de leur séjour à terre ou plutôt sous terre (« de l’action au ravissement ») et j’espère bien récupérer pour demain le rapport de certains des (nombreux) naturalistes qui ont eux aussi exploré ces cavités ou leurs alentours (Philippe G. me l’a promis !). Chrono tenu, à 15h45, toute l’équipe est à bord de l’Airaha. L’ambiance est un peu électrique et joyeuse. En particulier, ceux qui voient la mission s’achever sont un peu fébriles. Ils ont découvert un terrain fabuleux dans cette région qui leur était encore inconnue il y a trois semaines, et ils partent alors que tant reste à découvrir… mais ils vont aussi retrouver leurs proches. Ceux qui nous manquent tant pendant les missions. Chacun commence à organiser son paquetage, ou rechigne à s’y mettre… Sur le bateau, à plein, la gestion de l’espace est un art. C’est un joli équilibre dynamique, qui fonctionne assez bien dans le cas de l’équipe que nous composons. Chacun trouve sa niche, tant dans l’espace, que dans les tâches, la fait évoluer, parfois la quitte et la trouve prise à son retour et s’en trouve une nouvelle. Les bordéliques essaient de faire un peu plus attention que d’habitude, les maniaques d’être un peu plus tolérants ! Les petites vannes amicales sur tel ou tel travers permettent de tout régler et rendent à tous la vie très supportable malgré la promiscuité dans cet espace réduit et partagé à 90%. En dehors de l’espace de couchage de chacun, et un petit casier pour les plus chanceux, l’espace est en partage. Les amarres sont prêtes d’être larguées, nous descendons tous à quai pour une joyeuse photo de groupe. 2_equipe.jpg, oct. 2010 (PHOTO : l’équipe de la Lengurru 2010 avant la rotation).

Olga Otero, sur le pont de l’Airaha vers la sortie de la baie de Kayumerah

Le bout de la piste

Par Jean-Michel Bichain JM.jpg, oct. 2010 Ce n’est pas sans un pincement au cœur que j’adresse ce soir mon dernier billet pour ce journal de bord.

Mercredi 27 octobre, 17h30 l’Airaha  -l’espadon volant- appareille du port d’Avona. Toute l’équipe est descendue sur le quai pour la traditionnelle photo de groupe. Demain, nous serons une poignée à quitter la Papouasie occidentale, fin du voyage, de l’aventure et du travail de terrain. Cette photo est l’occasion de fixer cette belle fraternité qui régna parmi nous, depuis les membres d’équipage, l’intendance, les chercheurs, étudiants, techniciens, cuisiniers, guides et à travers trois langues sans compter les dialectes rencontrés. Pendant un instant, avant le retour sur le navire, tout ce petit monde se serre la main, s’enlace, main sur les épaules, clins d’œil complices. Une manière d’appréhender la future séparation, si proche pour nous.

Cette dernière journée a été particulièrement dense et remplie de surprises lors de notre équipée matinale. L’équipe rapidement : Laurent, Gigi, Sigit, Giyanto, Jean et moi-même. Objectif : un réseau souterrain découvert hier par Laurent et Marc. Le timing : départ 08h00, retour prévu 13h00. Mission coup de poing, dernier rush.

Nous embarquons comme à l’accoutumée dans le zodiac, sacs entassés à l’avant. Laurent connecte la réserve d’essence au moteur 25 chevaux et recule prestement. Un serpent de mer est logé sous le capot ! L’aimable animal, gris et rayé de noir, lentement sort de sa cache et vient s’échouer sur la plancher du zodiac. D’un bond, nous sommes debout sur les boudins alors que le serpent cherche une issue de secours. Sur l’Airaha, le reste de l’équipe qui observe la scène ne se prive pas d’exprimer son amusement. En un éclair, Laurent attrape la queue du reptile et d’un geste prompt le propulse à plusieurs mètres de là. Il avouera plus tard avoir espéré atteindre le pont de l’Airaha afin que nous puissions nous aussi gouter à la cocasserie de la situation.

Belle entrée en matière. 30 min de navigation et nous atteignons le site. Il s’agit d’une rivière qui émerge de la montagne puis file sur deux cents mètres avant de disparaître sous terre pour émerger de nouveau et enfin rejoindre la mer. Nous remontons donc depuis le rivage la première partie de la rivière, puis franchissons un relief léger avant d’atteindre sa seconde partie aérienne. Deux cents mètres plus loin, en effet, l’écoulement se termine sur une série de sources au-dessus desquelles apparaissent plusieurs entrées de grottes.

Nous nous équipons sous l’un des porches et coiffés de nos casques et lampes nous voici dans les premiers mètres du réseau. Très rapidement nous trouvons un mince filet d’eau qui s’écoule. Je plonge le nez dedans, soulève pierres et débris végétaux, inspecte les dépôts de sable et miraculeusement plusieurs coquilles d’hydrobie apparaissent dans mon faisceau lumineux. Extraordinaire, mes dernières heures de terrain et une espèce souterraine. Je suis aux anges et je ne prive pas de l’exprimer significativement à mes camarades.

Pendant que je réalise mes prélèvements, Laurent a progressé plus en avant puis est tombé nez-à-museau avec un « rat »! Le bel animal a élu cette cavité comme refuge diurne. Nous organisons sa capture afin de le photographier et permettre ainsi son identification. Au-delà de la théorie, la pratique est tout autre, surtout dans cet endroit où la roche est parfois coupante comme des lames de couteau. Un rongeur papou ça peut être gros. Presque un mètre avec la queue. Comme un petit chien mais trapu comme un blaireau. Bon sang, l’animal me passe entre les mains, puis dans celles de Jean pour finir dans celles de Laurent qui dans un geste ultime fait une chute sans conséquence. Nous avons tout le loisir de photographier avant de le relâcher. 4_rat.jpg, oct. 2010 Nous continuons notre progression dans le réseau fossile, une étroiture –la première pour Laurent que nous immortalisons avec Sigit- puis une seconde. 3_etroiture.jpg, oct. 2010 Orthoptères, petits crustacés terrestres et araignées dépigmentées. Le réseau présente une faune cavernicole riche et diversifiée qu’il sera nécessaire d’étudier plus attentivement. Un régal. La galerie se termine sur une étroiture infranchissable. Nous redescendons vers l’actif. La petite rivière souterraine, de 1,5 à 3 mètres de large, est vive. Le courant de plusieurs mètres cubes par seconde. Avec Laurent, nous progressons prudemment accrochés aux parois, les pieds cherchant des appuis à travers le courant. Nous parcourons plus de 200 mètres dans cette magnifique rivière avant de terminer sur un siphon. Au passage, prélèvement dans un méandre d’un poisson dépigmenté.

Nous sortons par une issue secondaire après plus de deux heures passées sous terre. Tout le monde a été servi. Siyanto avec ses invertébrés, Sigit et quatre espèces de chauves-souris, Laurent et le poisson, moi avec mes hydrobies et Jean qui pourra répandre un peu de Bétadine sur nos écorchures.

De retour au zodiac sous une pluie diluvienne avant la dernière navigation afin de regagner l’Airaha. Je profite pleinement de ce paysage qui défile, de cette mer changeante, de cette forêt qui s’éloigne inexorablement.

A peine rentré, il est temps de faire son sac. Les affaires ont réellement souffert du voyage. Une bonne partie sera conditionnée dans des sachets plastiques. 16h00, spéléo, archéo et biologistes reviennent du camp avancé. L’équipage commence à s’affairer. Les moteurs se font entendre. Le départ est imminent.

Il serait de bon ton de livrer une conclusion, un bilan de ce mois passé au sein de cette équipe, dans ce bout du bout du monde. Mais les ressentis sont tellement nombreux divers, contrastés, difficilement communicables. Nous sommes venus explorer et découvrir au nom de la science. Mais les découvertes réalisées vont bien au-delà de cet exercice très académique avec nos déambulations à travers nos différentes cultures et éducations. Un voyage à travers l’humain en somme. Du reste, au contact de cette forêt, de ces réseaux souterrains, de ces rivières, de cette naturalité brute souvent d’une extrême violence, je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine fragilité. La Nouvelle Guinée a eu l’extrême indulgence de nous laisser effleurer ces grands mystères. Quels enseignements en tirerons-nous ? C’est l’affaire de chacun d’entre nous. Pour moi, la cohabitation de l’homme avec cet environnement est symbolisée par ces pistes papoues qui s’enfoncent dans la jungle épaisse, discrets et séculaires passages vers un autre monde. J’ai le sentiment que nous avons perdu ce cheminement profond, creuset de notre humanité.

Je laisse cette forêt derrière moi alors que mon âme continue de marcher vers le bout de la piste. Quel jour sommes-nous ? Nous sommes toute la vie mon ami. Le reste ne regarde que nous.

Par Jean-Michel Bichain

De l’action au ravissement !

Mardi 26 et mercredi 27 octobre

  Explorateurs spéléo : Hubert, Guilhem, Bruno

Un récit de Bruno Fromento bruno.jpg, oct. 2010 Nous avons seulement trois jours pour explorer cette grotte que nous avons découverte récemment et les environs. Il est clair que nous voulons optimiser ce mini camp afin de rapporter un maximum d’informations. Nous préparons nos sacs comme d’habitude, un minimum d’affaires personnelles pour ne pas s’alourdir mais beaucoup d’équipement pour la partie spéléologie puis de quoi se restaurer copieusement car en bons hommes du Sud nous aimons bien manger, enfin, ici, plutôt beaucoup manger ! Le zodiac est en attente, Bernard aux commandes, les sacs s’entassent à l’avant du canot, je saute dedans pour rejoindre mes camarades. Lukas, guide papou se joint à nous, il est performant pour tailler dans la jungle et préparer le camp. Il s’avérera bon spéléo, très curieux !

Aujourd’hui c’est marée basse, l’entrée en canot dans la rivière n’est pas commode, Lukas se positionne devant afin de guider Bernard dans la navigation. Des bancs de sable nous obligent à louvoyer dans le cours d’eau et plus loin en amont ce sont les troncs d’arbres qui barrent la route à notre équipée. Nous abordons les obstacles les uns après les autres mais un arbre ferme le passage. Devons nous attendre la marée pour que le niveau d’eau nous permette de passer ? Eh bien non, nous ne sommes pas de cette trempe là ! Nous déchargeons le canot aux milles sacs et dans un élan de vitalité nous tirons l’embarcation par-dessus le tronc, et hop ! Le moteur vrombit de nouveau, nous glissons doucement sur l’eau verte de la rivière. Un varan apparaît sur la berge, puis un serpent, quelques oiseaux nous survolent, nous sommes les yeux grands ouverts. La végétation recouvre la rivière, pandanus aux feuilles tombantes, ficus, bagnan, arbre à fourmi… quel moment !

Nous arrivons au débarcadère, il nous reste quelques centaines de mètres à pied afin de rejoindre l’emplacement du camp. Enfin dans la jungle, nous montons notre hamac coiffé d’une bâche et d’une moustiquaire. Nous sommes bien en forêt, nous retrouvons nos sensations vécues lors de nos expéditions en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Nous partons maintenant explorer la grotte mais je ne peux pas aller dans la rivière souterraine à cause de ma plaie, Hubert et Guilhem commenceront la topographie et le début de la rivière. L’ambiance est extraordinaire, du gros bouillon, 5 m3/s, ce n’est pas rien. Heureusement que sur les bords, le courant n’est pas trop fort. Guilhem est enchanté, immergé dans l’eau à progresser avec émotion et appréhension aussi ! Hubert est dans le même état !

Avec Lukas, nous partons explorer la surface, en continuant le thalweg. Derrière un col, nous descendons une doline et découvrons une entrée de grotte. Le casque sur la tête, nous partons dans la galerie aux dimensions imposantes tout de même, 30 mètres de large pour 25 mètres de haut. Un éboulement au fond obstrue la continuation. Nous parcourons l’autre coté de la doline et découvrons une nouvelle entrée. A l’intérieur des milliers de chauves-souris volent dans tout les sens. Nous stoppons notre exploration car il y a trop de guano dans cette partie de la grotte. 5_grotte.jpg, oct. 2010 Le soir, nous retrouvons nos compagnons biologistes de « l’amicale des grenouilles et des oiseaux ». Bon, trêve de plaisanterie, Christophe et Philippe sont deux éminents spécialistes de la faune et nous sommes ravis de partager ce camp avec eux. Ils nous racontent leurs recherches et leurs découvertes, nous apprenons aussi leur passion !

Le lendemain, j’ai l’autorisation d’aller dans l’eau et c’est donc sous terre que j’irai avec Hubert et Guilhem. Nous continuons la rivière souterraine, mais une centaine de mètres plus loin, un siphon barre notre progression. Nous allons continuer notre travail de topographie sur les deux grottes fossiles puis dans une nouvelle entrée au réseau précédemment exploré. Notre camp se termine déjà, il faut être à 14h au débarcadère. C’est sous un orage que nous acheminons les sacs, l’eau coule sur tous les versants. Le canot à moteur arrive, nous embarquons tous, direction le bateau camp de base.

Cette zone est décidemment très prometteuse, nous reviendrons !

Par Bruno Fromento

Une réflexion au sujet de « Rotation J-1, »

  1. Cher Bernard,
    Pourriez-vous dire à Jean-Michel que nous l’attendons avec grande joie, que ce qu’il écrit est très beau et raisonne j’en suis sûr dans le voyage de l’humanité de chacun.
    A mes frères et soeurs d’âmes qui rentrent, qui restent, qui arrivent et qui lisent votre journal de bord.
    A plus
    Thésée

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